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Huile au soleil, sel en sachet : quand les marchés bradent la nutrition

Publié le 25 Mai 2025, 10:44am

Catégories : #ACTUALITE

Sous un soleil de fin de matinée, le marché de Sarfalao, dans le secteur 17, bruisse de vie. À travers les allées poussiéreuses bordées d’étals de fortune, les voix s’entrelacent : vendeuses, vendeurs, clients, enfants… Le spectacle est ordinaire, presque rassurant. Pourtant, à y regarder de plus près, derrière les bouteilles multicolores d’huiles alimentaires et les sachets translucides de sel, se dessine une réalité préoccupante pour la santé publique.

C’est dans ce décor que s’est arrêtée, le 24 mai, la caravane de presse initiée par le Club des Journalistes et Communicateurs pour la Nutrition et la Sécurité Alimentaire (CJCN-SA), avec l’appui de la coopération Allemande. Cette immersion de terrain s’inscrit dans le cadre du Plan d’action 2024-2025 du CJCN-SA, en lien avec le PAO/ANF, et vise à rapprocher les journalistes des réalités locales en matière de nutrition. Un objectif : toucher du doigt les pratiques qui entourent la vente et la consommation des aliments fortifiés, particulièrement dans les zones à forte activité commerciale.

Mamounata Sanou vend de l’huile reconditionnée dans des bouteilles recyclées. Aucune indication ne permet de savoir si l’huile est enrichie en vitamine A.
Mamounata Sanou vend de l’huile reconditionnée dans des bouteilles recyclées. Aucune indication ne permet de savoir si l’huile est enrichie en vitamine A.

Au détour d’un stand en bois, Mamounata Sanou, vendeuse d’huile depuis plusieurs années, aligne soigneusement ses bouteilles recyclées sur sa table. Jus, soda, eau minérale. Les contenants portent encore les étiquettes d’origine, désormais remplis d’un liquide doré : de l’huile, achetée en bidons de 20 ou 25 litres, puis redistribuée au détail selon le budget de ses clients. Dans ce marché, l’huile vendu est importé mais fortifiée en vitamine A.
« Je vends à 1 000 francs le litre, 550 le demi-litre, et 250 le quart », explique-t-elle calmement, tout en versant l’huile à l’aide d’un entonnoir. Gants ? Désinfection ? Mention du fabricant ou date de péremption ? Autant de détails ignorés dans cette chaîne de reconditionnement artisanale.

Zénabo Ouédraogo vend du sel qu’elle affirme iodé
Zénabo Ouédraogo vend du sel qu’elle affirme iodé

À quelques mètres, à l’ombre d’un abri en tôle, Zénabo Ouédraogo vend quant à elle du sel iodé, reconditionné dans de petits sachets plastiques. Elle jure qu’il s’agit de sel iodé, et pour preuve, elle exhibe un sac vide sur lequel figure « l’image d’un homme avec son enfant ».
« C’est comme ça que je reconnais le bon sel », assure-t-elle avec conviction. Mais cette méthode empirique, largement répandue, pose problème. Car sans analyse chimique ni emballage d’origine, rien ne garantit que le sel vendu contienne effectivement la dose recommandée d’iode, élément crucial pour le bon développement cérébral des enfants.
 

Les aliments  et le sel iodé exposés en plein soleil sur les étals du marché : une pratique fréquente, mais nocive pour leur qualité nutritionnelle.
Les aliments et le sel iodé exposés en plein soleil sur les étals du marché : une pratique fréquente, mais nocive pour leur qualité nutritionnelle.

Des pratiques économiques, mais à haut risque sanitaire

Jacqueline Bationo Dindané, nutritionniste au ministère de la Santé et membre de la caravane, observe les étals d’un regard inquiet.
« Ces produits sont reconditionnés dans des bouteilles usagées dont on ignore la propreté. On ne peut pas, à l’œil nu, déterminer s’ils sont enrichis en vitamine A ou iodés. Or, c’est essentiel pour prévenir certaines carences nutritionnelles graves », explique-t-elle.

Jacqueline Bationo Dindané, nutritionniste au ministère de la Santé et membre de la caravane, observe les étals d’un regard inquiet.
Jacqueline Bationo Dindané, nutritionniste au ministère de la Santé et membre de la caravane, observe les étals d’un regard inquiet.

Le problème n’est pas seulement nutritionnel, mais aussi sanitaire. L’huile, exposée au soleil et transvasée à l’air libre, risque de s’oxyder rapidement. Le sel, quant à lui, perd sa teneur en iode au contact de l’air, de l’humidité ou de la chaleur. Et les contenants recyclés, souvent mal lavés, peuvent libérer des résidus chimiques, voire des contaminants.

Pour la nutritionniste, la responsabilité est partagée. Les commerçants agissent selon les moyens disponibles et la demande locale, mais les producteurs et les autorités doivent proposer des solutions concrètes.
« Il faut offrir des formats plus petits, accessibles financièrement, pour que l’huile enrichie ou le sel iodé soit vendu directement dans des contenants adaptés. En attendant, les commerçants doivent au moins utiliser des contenants propres et protéger les aliments du soleil », plaide-t-elle.
 

Les membres du CJCN-SA appellent à une meilleure réglementation et sensibilisation pour préserver la santé des consommateurs.
Les membres du CJCN-SA appellent à une meilleure réglementation et sensibilisation pour préserver la santé des consommateurs.

Une chaîne de sensibilisation encore trop fragile

Malgré les campagnes de sensibilisation sur les produits fortifiés, nombre de vendeuses comme Mamounata ou Zénabo ignorent encore l'importance de l’enrichissement nutritionnel. Elles vendent ce que proposent les grossistes, sans chercher plus loin. Et face à des consommateurs soucieux avant tout du prix, l’origine ou la qualité nutritionnelle des produits passent au second plan.

Ouattara Issa, coordonnateur adjoint du CJCN-SA
Ouattara Issa, coordonnateur adjoint du CJCN-SA

Ouattara Issa, coordonnateur adjoint du CJCN-SA, tire la sonnette d’alarme.
« Nous avons constaté des conditions de stockage inacceptables. Il est temps que les autorités interviennent pour réguler le reconditionnement et garantir la qualité des produits alimentaires. Il en va de la santé des populations. »

"Au cœur du marché de Sarfalao, dans le secteur 17 de Bobo-Dioulasso, des femmes commerçantes vendent des produits essentiels à la sécurité nutritionnelle : du sel iodé et de l’huile végétale enrichie en vitamine A. Ces denrées, bien que vendues dans des conditions parfois précaires, jouent un rôle clé dans la lutte contre les carences micronutritionnelles au Burkina Faso", a-t-il soutenu.

Le sel proposé, bien que reconditionné en petits sachets pour convenir au pouvoir d’achat des clients, provient de sacs certifiés iodés. Quant à l’huile, elle est souvent issue de bidons industriels dont la teneur en vitamine A est attestée par les fabricants et contrôlée par les autorités compétentes. Malgré une exposition directe au soleil et une manipulation artisanale, cette huile conserve, à sa sortie d’usine, ses propriétés nutritionnelles.

Ces produits, accessibles et courants, sont en réalité de véritables atouts de santé publique. L’iode contenu dans le sel est indispensable au bon fonctionnement de la thyroïde, tandis que la vitamine A présente dans l’huile contribue à la prévention de la cécité et au renforcement du système immunitaire, notamment chez les enfants.

Toutefois, leur valeur nutritionnelle peut être compromise si les conditions de conservation et de reconditionnement ne sont pas rigoureusement respectées. D’où l’importance de renforcer la sensibilisation des acteurs du marché commerçantes comme consommateurs  sur les bonnes pratiques à adopter pour préserver les bienfaits de ces aliments fortifiés, souvent sous-estimés mais ô combien essentiels.

La survie économique ne doit pas occulter la santé publique

La caravane de presse, qui poursuivra sa route  à Koudougou le 26 mai, met en lumière les tensions entre réalité économique et impératifs de santé publique. Car dans ces marchés populaires, l’offre s’adapte au pouvoir d’achat des familles. Mais derrière l’accessibilité immédiate se cachent des risques à long terme : malnutrition, troubles thyroïdiens, déficiences immunitaires.

En attendant une meilleure régulation, le combat passe aussi par l’information et la responsabilisation de tous les acteurs, du producteur au consommateur. Et par un changement de regard : acheter bon marché ne doit plus signifier acheter au péril de sa santé.

Krismo Abdalah KABORE

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