
La question de la restitution des œuvres d’art africaines conservées dans les musées occidentaux s’impose aujourd’hui comme l’un des grands enjeux du dialogue culturel international. Derrière ces artefacts, souvent arrachés à leur terre d’origine durant l’époque coloniale, se joue une bataille mémorielle et identitaire majeure pour les nations africaines, en quête de réappropriation de leur histoire et de leur dignité culturelle.
Ces objets, qui ornent les vitrines des musées européens lorsqu’ils ne croupissent pas dans des réserves inaccessibles , sont bien plus que des curiosités artistiques ou ethnographiques. Ils incarnent la mémoire des peuples, les traditions sacrées, les récits fondateurs, et les savoirs ancestraux. Leurs absences sont des plaies ouvertes, des silences imposés dans les récits historiques des pays spoliés.
En 2024, la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop a contribué à raviver ce débat mondial avec son film Dahomey, retraçant le retour symbolique au Bénin de vingt-six trésors royaux, jadis conservés au musée du Quai Branly en France. Par le biais du cinéma, elle a donné voix à ces objets silencieux et restitué leur portée spirituelle et politique. Son œuvre met en lumière un pan de l’histoire longtemps enfoui sous les décombres de l’oubli et de l’indifférence.
Le pillage des biens culturels africains durant la colonisation a non seulement vidé les territoires de leurs artefacts les plus précieux, mais il a aussi contribué à déstructurer les récits et les identités. Des objets emblématiques tels que les amulettes des Agojiée, ces redoutables guerrières du Dahomey, se retrouvent exposés hors contexte, muséifiés, fétichisés, et privés de leur fonction sociale et spirituelle originelle.
Des chercheuses comme la sociologue Saskia Cousin, accompagnée de sa doctorante Madina Yéhouétomè, travaillent aujourd’hui à repenser le statut de ces objets, non pas comme de simples œuvres à relocaliser, mais comme des entités vivantes à réintégrer dans leur matrice culturelle. Leur restitution implique de reconstituer les filiations, les usages et les significations, bien au-delà d’un simple transfert matériel.
Les revendications en faveur de la restitution ne sont pas nouvelles. Dès les premières décennies postindépendance, des voix se sont élevées pour réclamer le retour des trésors nationaux. Toutefois, c’est au cours des dernières années qu’une coordination plus structurée a vu le jour. Des acteurs institutionnels musées africains, ministères de la culture, centres de recherche s’allient désormais à des activistes, artistes et juristes pour poser les fondements d’une diplomatie culturelle offensive.
Malgré cette mobilisation croissante, les obstacles juridiques restent nombreux. Le droit de propriété, les régimes de prescription, l’absence de lois-cadres dans plusieurs pays européens freinent encore les processus de restitution, souvent au profit de solutions transitoires, telles que les prêts prolongés ou les expositions temporaires.
Depuis 2022, plusieurs États européens ont entrepris des restitutions notables, notamment à destination du Nigeria. En France, bien que les discours politiques se multiplient, une législation d’ensemble sur la restitution se fait toujours attendre. Des initiatives isolées, à l’image du retour des œuvres du Bénin, restent encore insuffisantes face à l’ampleur de la demande.
Parallèlement à la restitution matérielle, il est fondamental de soutenir le développement des infrastructures muséales africaines, de renforcer les capacités de conservation et de promouvoir la recherche historique sur les trajectoires des objets. La reconstruction du lien avec le passé passe également par l’appropriation des outils de médiation, d’exposition et de narration culturelle.
Restituer les œuvres d’art spoliées ne saurait être réduit à un acte symbolique ou diplomatique. Il s’agit d’un devoir de justice historique, d’une reconnaissance des souffrances infligées, et d’une volonté de rééquilibrer les relations culturelles entre l’Afrique et le reste du monde.
En renouant avec leurs objets d’art, les nations africaines ne récupèrent pas seulement des vestiges : elles réactivent des mémoires, ressuscitent des spiritualités, réinventent des récits. La restitution devient alors un vecteur de renaissance, une invitation à repenser les héritages, et à écrire, enfin, l’histoire à partir de ses propres ancrages.
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